La (presque) Route des Grandes Alpes #2
- segridestories
- 28 août 2023
- 8 min de lecture
Je t’ai parlé de la maison de mon pote Bertrand?

C’est une petite longère mitoyenne située quelque part entre les lacs de Laffrey et de Pétichet, à quelques encablures du centre de Saint Theoffrey. Tu ne m’en voudras pas de ne pas être plus précis: il risque d’accueillir tous les motards du groupe une fois que je te l’aurai décrite...
Sa maison, c’est un peu le rêve ultime pour les grands enfants que nous sommes: dans son jus, début du siècle (passé évidemment), des poutres apparentes juste ce qu’il faut de rongées par le temps, des angles improbables à faire pâlir un magasin Ikea, des carreaux de ciment bordeaux bien patinés et surtout, surtout: une énorme grange.
La vraie hein: celle un peu miteuse, à la lumière faiblarde avec de larges portes en bois massif qui grattent bien le sol en béton irrégulier quand tu les ouvres. Un endroit où mettre de gros trails à l’intérieur tombe juste sous le sens.
Le bonheur finalement, ça tient à peu de choses comme stocker ta bécane au frais la nuit sans peur de te la faire tirer. Puis ouvrir les portes le lendemain matin et t’arrêter un instant en regardant ces fameux jouets devant toi. On est plutôt chanceux de vivre ça; toujours bon de se le dire à voix haute de temps en temps.
Bertrand, il est plutôt du genre ecléctique comme mec: il craque une superbe Africa Twin dans son légendaire coloris bleu-blanc-rouge (cocorico) et en même temps, il s’embarque dans une modif “café racer” d’une K75 de 86 ou 89, j’ai oublié (ce fameux Vacqueyras encore…) Ayant mis le paquet niveau virages (c’est sa première sortie de l’année pour cause de paternité récente) et le menaçant d’aller barboter hors des sentiers battus, il fait le bon choix en mettant un coup de démarreur sur la japonaise. Victoire; on devrait pas trop s’inquiéter question mécanique.
Au programme aujourd’hui: une boucle de 272km pour environ 6h de roulage autour de St Theoffrey. Du lourd encore avec le retour du barrage de Grand Maison, le col de la Croix de Fer, St Sorlin, Valloire, le Galibier, le Lautaret, le lac du Chambon, le col de Sarenne ou encore l’Alpe d’Huez. Jusqu’à plus soif.
10h. On part archi à la bourre sur l’horaire initialement prévu. Sans raison particulière, juste parce qu’on a passé une bonne soirée et que cette journée est pour nous. Peu importe l’heure à laquelle on arrive. Quand tu es jeune papa et que tu as besoin de prendre du temps pour toi, cette phrase vaut tout l’or du monde.
On galère franchement à entrer dans notre trip du jour: Bertrand doit faire le plein et on part dans la direction totalement opposée à notre trace pour trouver une pompe. Puis deux. Puis 3, à plus d’une demi-heure du premier point de passage. Va comprendre pourquoi toutes les pompes du coin étaient à sec; surement à cause de tous ces motards qui sont venus se gaver la veille en sans plomb les renards.
Réservoirs pleins, il est plus que temps de rebrousser chemin en direction de Séchilienne pour retourner au barrage de Grand Maison entraperçu la veille. On se chauffe en empruntant la D113, petite route sinueuse et étonnamment humide entre Laffrey et le pont de Gavet. La vue sur la Romanche en contrebas ouvre l’appétit. Bertrand passe devant, il connait bien le coin. Tant mieux. Je me sens collé ce matin. Tu sais, pas dans le bon tempo, tu subis un peu le virage, pas franc dans le regard, à contre-temps. Je le laisse enquiller et me cale sur lui. Encore 50cl d’eau et je vais émerger.
La D1091 nous amène jusqu’au lac du Verney. Si tu es plutôt du genre randonneur, sache qu’une passerelle Himalayenne y a été installée en 2018 pour te permettre de traverser l’Eau d’Olle jusqu’au musée EDF Hydrelec. Avec le recul et après avoir fait un tour au lac de Sainte Croix dans les jours suivant, je regrette de ne pas m’y être arrêté tant la maîtrise de l’eau et la capacité à en tirer de l’énergie semble décisif dans la région. Si tu pars 2h avant nous, hésite pas à nous dire si la visite en vaut la peine!
On monte désormais à bonne allure et bien synchro tête-corps-machine par la D526 jusqu’au lac de Grand Maison. Ce serait juste criminel de ne pas s’arrêter. Grand Maison, c’est la 2e plus grosse claque visuelle de mon voyage. Le soleil est déjà quasi au zénith à l’heure où nous arrivons. Les couleurs sont toujours aussi profondes et éclatantes que la veille. Mais le mix entre le col de Montfroid qui sépare l’Isère de la Savoie avec les quelque 140.000.000m3 (je ne l’écris pas, c’est plus impressionnant) d’eau à ses pieds est d’une beauté totale et improbable. On sue comme des bêtes à manoeuvrer nos deux chars à l’arrêt mais il nous faut absolument une photo de nos brêles avec cet arrière plan!

On reste encore là, quelques minutes, un peu hébétés par ce paysage sans se dire un mot. Putain que c’est beau. Je regarde quand même l’heure car j’avais promis de payer le resto à midi à Valloire pour remercier Bertrand de son hospitalité. On sera en retard c’est sûr mais quelle excuse on aura!
On se rééquipe pour tailler dare-dare vers le col de la croix de Fer. La montée jusqu’au col avec les aiguilles d’Arves qui se dessinent dans les derniers lacets est juste fantastique. Dis moi dans les commentaires si tu vois plutôt un ours ou une grenouille. Bertrand lui m’a dit qu’il ne prenait pas de LSD. J’ai répondu sobrement que la Tête de Chat portrait mal son nom.

Connaissant tous deux le col néanmoins, on décide de ne pas s’arrêter (tapez pas svp) pour redescendre immédiatement vers St Sorlin où nous aurons bien galéré à cause…du marché local. Ca n’arrangeait pas nos affaires de resto. On met une dizaine de minutes à quitter le village pour remonter vers Albiez Montrond puis Albiez-le-Jeune.
La route d’Albiez-le-Jeune quand tu veux redescendre vers St Jean de Maurienne, pour te la décrire, c’est un peu comme si un enfant de 3 ans l’avait dessinée. Il a pris son feutre comme un grand et fait des énormes gribouillis de gauche à droite une bonne cinquantaine de fois. C’est droite-gauche épingle qui rentre souvent difficilement en 2e pendant une petite demi-heure. Ca nous a un peu calmés. Ca et ma GS mal béquillée qui m’est tombée dessus pendant une courte pause. Virage en dévers, je ne trouve pas la force de la relever solo. Bertrand me file un coup de main décisif. Il va être temps de faire un break pour manger.
On retrouve un grand axe jusque Saint-Michel-de-Maurienne pour se détendre un peu. La montée vers Valloire par le col du Télégraphe est toujours aussi plaisante à retrouver: c’est large, ça roule à vue, peu de cyclistes entre midi et deux, on se fait plaisir.
13h30. Arrivée sur Valloire. 1h15 de retard sur l’horaire prévu. Reçus comme des rois en terrasse chez Fred, une adresse bien connue dans le coin pour taper son fameux tartare au couteau. Il passe crême, comme le tiramisu en dessert. Il fait encore 26° dans la station, on prend 2 cafés. Le tiramisu nous tire sur les paupières, il faut pas tomber dans le piège. On se remet en selle avec la promesse que le Galibier (une inconnue pour Bertrand) nous offrira l’un des plus beaux panoramas de France.
La montée vers le Galibier sera ultra sage: nous sommes dimanche, week end de jour férié prolongé. J’ai l’impression que le Tour de France est en train de se jouer sous nos yeux. Des centaines de cyclistes affluent vers le sommet tant convoité. Je suis toujours aussi admiratif de les voir dans leur effort pour aller chercher leur récompense. Surement pas autant que le couple de furieux que je croiserai le lendemain à la cîme de la Bonnette par 95km/h de rafales de vent ceci dit. Eux c’était de vrais guerriers!

Le sommet est désormais atteint. Bertrand lui, a la banane comme jamais (c’est pas moi qui l’ai dit mais sa femme avec un brin de jalousie le soir en voyant les photos) Il aime le bon pinard comme les beaux paysages et aujourd’hui coup de chance, j’ai sorti un grand cru classé bien avant 1855. On se pose de nouveau, sortant à peine de table, pour rester là à observer les cyclistes arriver, se congratuler, les motards se prendre en photo au pied du panneau, les campings-car à galérer pour sortir du parking étroit…Bref, on profite de toute cette vie au milieu de nulle part en fait.

La descente vers le Lautaret est plus sportive: moins de cyclistes, davantage de locaux, je me cale sur une Z1000 qui file à bonne allure. Un grand kif jusqu’au célèbre café de la Ferme. J’attends Bertrand qui a moins engagé la descente pour prendre la direction de Mizoën. On retourne en Isère, je le laisse repasser devant.
Remonter par Mizoën, c’est faire l’impasse sur le barrage du lac Chambon mais avoir l’opportunité de rejoindre le col de Sarenne. C’est par cette route pastorale que nous avions décidé de rejoindre l’Alpe d’Huez. Les lacets du Perron nous rappellent ceux d’Albiez le matin. Cela reste nettement plus roulant, mais surtout, quel paysage autour de nous! Le champ est totalement ouvert, jusqu’a atteindre la même hauteur que les montagnes.

A quelques encablures de là, à très exactement 1.999m, nous arrivons au col de Sarenne. Ne m’en veux pas, mais plus moyen de trouver la moindre photo prise ici. Tu devras me croire sur parole (ou checker sur Google images) si je te dis que c’est une route de dingue pour rejoindre l’Alpe d’Huez. Une fois passé le col, la route, bien que nettement plus défoncée, reste haute jusqu’à la station. Tu ne redescendras pas, tu resteras à plus ou moins 1.800m. C’est toujours une sensation sympa de rouler haut.
On entame la descente et découvrons les fameux 21 virages numérotés. Point culture: les virages numérotés ne sont pas un diktat de ASO pour le tour de France, mais servaient initialement de balises d’altitude pour les chasse-neige. A ce moment de la journée pour être franc, la fatigue des derniers jours commence à se faire un peu ressentir. Au pied du col, un peu comme la veille, deux options s’offrent à nous: prendre un “fast pass ticket” jusque Rochetaillée pour nous retrouver à hauteur du musée hydrelec EDF traversé le matin même, ou faire confiance à Bertrand et le suivre par le Col d’Ornon et Entraigues. Les petites routes de la vallée qu’il connait comme sa poche. En gros, une bonne heure de roulage supplémentaire, histoire de faire durer le plaisir.
De la D526 qui nous ramène à St Theoffrey, je n’ai retenu qu’une seule chose: un triple passage à gué entre le col d’Ornon et les Siauds, dont la réception hasardeuse (mais heureuse) au deuxième saut aura littéralement brisé en deux l’armature de mon sac de voyage pourtant solidement arrimé au porte bagages. Pas franchement crosseux et n’ayant pas non plus imaginé qu’on décollerait autant, on rigole autant qu’on prend la mesure de la chance qu’on a eu de ne pas se bourrer. Comme quoi la signalisation parfois…ça a du bon.

18h30. Arrivé à la même heure que la veille. Bertrand me propose d’aller me baigner. Je le vois se diriger vers son Berlingo. Je me dis que c’est violent pour finir la journée. Soulagé, il prenait juste ses affaires et me répond: “tracasse, c’est à 3’ à pied, suis moi”. Tongs, serviettes, 2 coronas glacées et un paquet de chips Lucien, nous nous engoufrons dans un petit sentier pour tomber face-à-face sur le Lac de Pétichet. On se rafraichit dans l’eau du lac, on décapsule les bières et on refait le fil de la journée. Qu’est ce qu’on est en train de vivre là déjà?
Demain, dernier jour de roulage jusqu’à mon terminus. Le meilleur semble encore et toujours devant moi: 400km, 7h14 de moto qui me conduiront dans la vallée de l’Ubaye, à la cîme de la Bonnette jusqu’au petit village provençal de Barjols. Une grosse surprise m’attendra sur Whatsapp le lendemain. Je ne t’en dis pas plus, ce sera pour le 3e épisode 🙂
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